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Cléopâtre, miroir d’un mythe façonné par les siècles

Cléopâtre, miroir d’un mythe façonné par les siècles

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La Mort de Cléopâtre, Jean-André Rixens, 1874

Souvent admirée, parfois diabolisée, toujours réinterprétée : Cléopâtre fascine autant qu’elle questionne. L’exposition “Mystère Cléopâtre” à l’Institut du Monde Arabe interroge la construction historique, politique et culturelle de la dernière reine d’Égypte, de ses alliances avec Rome à son incarnation dans la pop culture contemporaine, pour tenter de décrypter la part d’ombre et de fiction qui entoure cette figure légendaire.


Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face du monde aurait changé” disait le polymathe Blaise Pascal dans ses Pensées (1670). Depuis des siècles, la dernière souveraine d’Égypte ne cesse de déchaîner les passions et d’interroger les historiens, tant sa figure est à la fois prépondérante et ambiguë. De cette femme dont on vante l’incroyable beauté, on ne garde en réalité que de très éparses traces, quelques pièces de monnaies à son effigie, et des biographies écrites par ses adversaires politiques. “Qui est Cléopâtre, que sait-on d’elle ? Mais surtout, qui a écrit l’Histoire ?” sont autant de questions sur lesquelles Élodie Bouffard, directrice des expositions de l’Institut du Monde Arabe, a travaillé avec Claude Mollard, commissaire général de l’exposition “Mystère Cléopâtre”. Depuis le 11 juin, les visiteurs venus du monde entier peuvent découvrir les multiples facettes de cette reine mystérieuse, mais surtout comprendre d’où viennent les légendes qui entourent son existence, façonnées par les récits de ceux qui l’ont admirée, mais aussi ceux qui l’ont décriée. 

Cela faisait un moment que le personnage de Cléopâtre était réactivé”, explique Élodie Bouffard, au cœur des salles de l’exposition divisée en deux parties. Dès son arrivée, le visiteur est immergé dans le contexte historique et géopolitique au sein duquel a évolué la reine d’Égypte. Les découvertes archéologiques récentes exposées, ainsi que des frises chronologiques et des cartes animées, permettent de situer la femme dans son époque. Née en 69 avant Jésus-Christ à Alexandrie, Cléopâtre VII Philopator est l’ultime souveraine de la lignée ptolémaïque. Elle règne pendant vingt ans sur une Égypte attisant les convoitises de l’Empire Romain, qui cherche à étendre son influence sur tout le bassin méditerranéen. Alexandrie, sa capitale, est alors un centre intellectuel et culturel de premier plan, illustré dans l’exposition par des cinématiques issues du jeu Assassin’s Creed : Origins, du studio de jeux vidéo Ubisoft. Celles-ci ont été produites en 2018, fondées sur des recherches d’historiens et d’archéologues spécialistes de l’Égypte ancienne, pour se rapprocher au plus près de la réalité. 

Projection des cinématiques d’Assassin’s Creed : Origins

Au travers de ces images, et par les nombreux objets d’époque que l’exposition met en avant, le visiteur peut ainsi comprendre les enjeux culturels et géopolitique de l’Égypte de Cléopâtre. Il peut observer les stratégies de cette dernière pour tenter de conserver sa souveraineté, notamment en entretenant des relations privilégiées avec des hommes politiques romains de premier plan : Jules César avant son assassinat, avec qui elle aura un fils, Césarion, et Marc-Antoine, qui lui donnera trois enfants, et sera son partenaire sentimental comme politique pendant onze ans. C’est ensemble qu’ils se donneront la mort en 30 avant Jésus-Christ, un an après la défaite d’Actium infligée par Octave, ennemi de Marc-Antoine et premier empereur romain.

Ce que l’on sait d’elle, c’est cette grande histoire diplomatique, mais l’Histoire est écrite par les vainqueurs”, raconte Élodie Bouffard, expliquant ainsi que les premières traces biographiques de Cléopâtre proviennent des écrits d’auteurs latins, qui dressent “La légende noire”. Chez eux, la souveraine égyptienne est dépeinte comme une femme vénale, quasiment une prostituée, qui a perverti Marc-Antoine dans le seul but d’étendre son pouvoir. Octave utilise massivement cette propagande pour décrédibiliser son adversaire politique dans une Rome qui ne lui est pas encore tout-à-fait acquise, et influence ainsi durablement l’historiographie. 

De la Renaissance à Hollywood, la résurrection du mythe Cléopâtre

Il faut attendre la Renaissance, avec Dante Alighieri et Jean Boccace, pour que la figure de Cléopâtre réapparaisse, après avoir été longuement oubliée pendant le Moyen-Âge. Dans son De Mulieribus Claris (1362), visible au deuxième niveau de l’exposition consacré à sa figure mythique, Boccace décrit Cléopâtre comme une femme de petite vertu comparée aux dogmes chrétiens en vigueur, mais permet ainsi de remettre au goût du jour la souveraine. Le sujet sera repris ensuite par Shakespeare dans sa tragédie Antony and Cleopatra (1623). 

Mais c’est essentiellement le suicide de cette dernière qui lui garantira une postérité iconographique, inspirant au cours des siècles une multitude d’artistes. L’exposition rassemble de nombreuses oeuvres illustrant principalement son suicide, thème héroïco-dramatique cher aux artistes de tous temps. On la voit tantôt alanguie, dans la torpeur infligée par la morsure fatale du serpent meurtrier sur le tableau de Jean-André Rixens (1874), tantôt tiraillée entre la mort qu’elle s’inflige et le désir de vivre sur la sculpture de François Barois (1700). 

Cléopâtre mourant
Cléopâtre mourant, François Barois, 1700

En déambulant dans l’exposition, on voit se construire le mythe Cléopâtre au cours des époques, jusqu’au siècle dernier qui marque l’apogée de l’utilisation de sa figure légendaire. Elle apparaît seule en tête d’affiche, incarnée au théâtre par Sarah Bernhardt, et au cinéma par Liz Taylor ou Sophia Loren. Une immense projection de différentes scènes de ces films iconiques précipite le visiteur au cœur des salles noires, jusqu’à la version plus récente de la reine égyptienne incarnée par Monica Bellucci dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002) d’Alain Chabat. Des costumes et des éléments de décors sont également exposés. 

Costumes et décors du film Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002)

Enfin, Cléopâtre dépasse la simple figure historique en devenant une égérie commerciale, une reine de beauté, ou encore une référence émancipatrice et féministe. Autant de symboles qui font d’elle une icône de la pop culture pour le grand public, jouant parfois avec la réalité historique pour la rendre plus actuelle. Au cœur de l’exposition, on découvre ainsi les innombrables facettes de la souveraine égyptienne, oscillant entre allégorie et figure politique, entre fiction romanesque et vérité historique, qui nourrissent jusqu’à nos jours le fascinant “Mystère Cléopâtre”. 

Gersende Barrera

Exposition à découvrir jusqu’au 11 janvier 2026. Institut du Monde Arabe – 1, rue des Fossés Saint-Bernard – 75005 Paris

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