Liban : Présidentielle en vue, un pays en quête de souffle
C’est un pays en apnée. Ce jeudi 9 janvier, à 11 heures locales (9 heures GMT), le Parlement libanais se réunit pour accomplir un acte attendu depuis deux ans : élire un président. Alors que la plupart des pays ne passent même pas quelques mois sans un chef à leur tête, le Liban s’est offert un record : 24 mois de néant institutionnel. Deux années où le vide politique s’est ajouté à une crise économique dévorante, tandis que le pays voyait ses jeunes fuir. Décryptage d’une journée qui pourrait tout changer. Ou pas.
Jeunesse sacrifiée, avenir hypothéqué
S’il est une génération qui regarde cette élection avec autant de lassitude que d’espoir, c’est bien celle des jeunes Libanais. Pour eux, le temps des slogans et des promesses est terminé. Depuis des années, ils portent le poids d’un système qui les étouffe. La livre libanaise s’est effondrée. Elle a perdu 98 % de sa valeur. Autant dire qu’un ticket de métro parisien vaut presque plus qu’un salaire local. Les revenus, hier décents, ne couvrent même plus le coût des denrées de base. Le chômage frappe de plein fouet les jeunes Libanais : début 2022, près d’un jeune actif sur deux, âgé de 15 à 24 ans, était sans emploi, avec un taux atteignant un vertigineux 47,8 %. Ce chiffre a plus que doublé par rapport à 2020, où il s’établissait déjà à 23,3 % selon l’ACS (l’Administration Centrale de la Statistique). Un bond dramatique.
Un professeur d’université, jadis considéré comme appartenant à la classe moyenne, touche aujourd’hui moins de 100 dollars par mois. Les étudiants peinent à payer leurs frais de scolarité, et beaucoup abandonnent leurs études. Les hôpitaux manquent de médicaments, et les coupures d’électricité plongent parfois les foyers dans l’obscurité pendant plus de 20 heures par jour. La lumière électrique, luxe rare, s’achète au prix de générateurs privés hors de prix. Pour les jeunes, l’émigration est souvent la seule issue.
Et pourtant, ce sont eux qui ont tenu bon. En 2019, c’est cette jeunesse qui a pris les rues d’assaut, criant « Tous, sans exception » contre une classe politique corrompue et immobile. Aujourd’hui, beaucoup ont baissé les bras. Ils rêvent d’un avenir… ailleurs. Selon une étude récente menée entre février et avril 2024 par Arab Barometer, près de 40 % d’entre eux envisagent de quitter le pays pour de bon. Un taux qui atteint un impressionnant 58 %, chez les jeunes de 18 à 29 ans. La fuite des cerveaux n’est pas une menace : c’est déjà une réalité. Les rues de Beyrouth, autrefois vivantes, se vident peu à peu de leur énergie, tandis que les aéroports se remplissent de jeunes diplômés en quête d’un avenir à l’étranger. Et ceux qui restent ? Ils tentent de survivre dans un quotidien où la corruption est reine et les opportunités inexistantes. Cette élection sera une épreuve de vérité.
Deux ans sans président : chronique d’un système à l’arrêt
Pourquoi le Liban est-il resté deux ans sans président ? Le système politique libanais repose sur un équilibre fragile, où chaque fonction clé est assignée à une communauté religieuse : le président doit être chrétien maronite, le Premier ministre musulman sunnite, et le président du Parlement musulman chiite. Sur le papier, cette répartition a été pensée comme une garantie de coexistence. Mais dans la réalité, c’est une mécanique complexe, où chaque rouage est soumis aux tensions des alliances locales et internationales. Elle est aujourd’hui synonyme de blocages incessants.
Dans un tel contexte, parvenir à un consensus relève souvent de l’exploit. Chaque parti défend ses intérêts, souvent alignés sur ceux de puissances étrangères : l’Iran, l’Arabie saoudite, ou encore la France. Pendant deux ans, la question de qui deviendrait président a éclipsé celle, plus urgente, de comment remettre le pays sur pied. Les discussions se sont éternisées, transformant l’élection en un théâtre d’ombres, où les ambitions personnelles ont pris le pas sur les besoins du peuple.
Le vide laissé par l’absence d’un président n’est pas qu’une question institutionnelle, il s’est traduit par une paralysie du pays tout entier. Pendant que les débats s’enlisaient, les drames se multipliaient. L’explosion du port de Beyrouth en 2020, une tragédie qui a fait plus de 200 morts et dévasté une partie de la capitale, reste l’un des exemples les plus frappants de cette inaction.
Joseph Aoun : le général devenu candidat star
Ce n’est pas juste une élection. C’est un épisode clé dans une série politique où chaque acteur joue sa survie. Et parmi eux, le Hezbollah, traditionnel poids lourd de la scène libanaise, se présente affaibli. Deux mois de guerre avec Israël et la chute de son allié syrien Bachar al-Assad ont ébranlé son influence, ouvrant la voie à de nouveaux équilibres. Autrement dit, tout peut arriver. Ce déclin laisse la scène ouverte à d’autres forces, à d’autres visages.
L’étoile montante dans cette course présidentielle, c’est le général Joseph Aoun, chef de l’armée libanaise. Soutenu par des puissances régionales comme l’Arabie saoudite et des acteurs internationaux comme les États-Unis, il s’impose comme le favori. Parce qu’il incarne la stabilité dans un pays où tout vacille. Son rôle dans la mise en place du cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah en novembre dernier a renforcé son image d’homme de compromis, capable de naviguer dans les eaux troubles de la politique libanaise. Élu ou non, Aoun devra affronter une montagne. La corruption ronge le pays comme une lèpre, les institutions sont devenues des coquilles vides, et les ingérences étrangères dictent bien trop souvent la partition.
Liban, espoir ou éternel chaos ?
Les Libanais, et en particulier les jeunes, n’ont plus le luxe d’attendre. Leur patience s’est consumée au rythme des coupures d’électricité et des promesses non tenues. Cette élection est peut-être la dernière chance pour amorcer un véritable changement, mais tout repose sur un équilibre fragile. Alors, ce jeudi, un souffle nouveau pourrait se lever, en espérant qu’il ouvre enfin une fenêtre vers un avenir plus lumineux.
Dorine Vaudron
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